29 juin 2020 au petit matin, la Guadeloupe se réveille en constatant une disparition totale des brumes de sable et de plusieurs figures politiques quasi-trentenaires de la scène politique, victimes du renouvellement des édilités communales… Posture adoptée et assumée par une part significative du corps électoral guadeloupéen.
De mémoire de contemporain, c’est la première fois en Guadeloupe, depuis au moins 1995, qu’autant de chefs d’édilité ne sont pas réélus. Entre le premier et le second tour ce ne sont pas moins de 17 maires sur 32 qui ont été évincés. Les uns avec plus ou moins d’honneur, ayant mené une bataille engagée, acharnée et ayant perdu leur fauteuil à très peu de voix. Les autres avec beaucoup moins de considérations lorsque leur clientèle politique, lassée, aura faibli dans sa détermination et sa mobilisation.
Le renouvellement à l’œuvre témoignerait-il d’une certaine maturité des électeurs qui constituerait l’émergence d’un électorat nouveau, capable de « déchoukaj » de dégagisme ? Ou ce phénomène serait-il une forme de mécontentement passager face aux atermoiements de ces décideurs, incapables de régler tous les problèmes du quotidien ? Notamment ceux de la fourniture du service public de l’eau, des transports, des déchets ou plus simplement de l’équilibre du développement du territoire…
Il y a certainement un peu de ces deux causes auxquelles on peut ajouter une troisième : l’incertitude sanitaire due au Covid tant pour aller voter le 15 mars et le 28 juin 2020 que le délai entre le premier et le second tour excessivement long. Ce long délai a influencé l’issue du scrutin en permettant à certains candidats d’avoir le temps de négocier, dans la durée, leur alliance et leur victoire, quand ce temps n’a pas été bien mis à profit par d’autres pour aller chercher tous les abstentionnistes ou déçus ou pour taire leur dissension et s’unir.
Pour ce qui est de l’analyse sociopolitique du pays, on peut discerner plusieurs tendances.
La première tendance que l’on peut observer dans trois communes qui en disposaient, est que les « dynasties familiales » disparaissent quelle que soit leur appartenance à Pointe-à-Pitre, à Basse-Terre et à Saint-François d’un seul coup, à l’exception de deux communes : les Abymes et Goyave. Chacun de ces édiles a perdu – pour des raisons diverses mais finalement sérieuses – la confiance de leurs électeurs et/ou de leurs affidés.
Dans chacune de ces communes, des facteurs locaux d’affaiblissement du maire et de l’équipe au pouvoir se sont fait sentir, puis se sont accentués jusqu’à constituer un handicap majeur dans la dernière ligne droite du scrutin. Avec la chute de Marie-Luce Penchard, à Basse Terre, et de Jacques Bangou, à Pointe à Pitre, ce sont deux systèmes politiques, le chevrysme et le système Bangou, et donc la droite départementale et la gauche post-communiste, qui sont battus.
La seconde tendance à l’œuvre, est que, depuis un certain temps, l’offre politique guadeloupéenne s’est démultipliée voire émiettée. On a assisté à une inflation de candidatures dont toutes ne se sont pas revêtues du sceau nécessaire de la compétence, de la vertu et de la rigueur alors même que l’abstention s’amplifie et se renforce.
Certains ont pu y voir des candidatures pour semer le trouble mais il y a eu un certain nombre de candidatures dites de la société civile qui ont fait leur chemin et avec une certaine réussite pour un premier lancement.
Mais on peut aussi arguer que la politique est devenue un instrument marketing pour de nombreuses personnes en recherche de reconnaissance et de statut social.
Le mouvement observé lors des élections législatives de 2017 se poursuit sans relâche……
Que faut-il voir ou penser de cette dizaine de maires dont les mandats n’ont pas été renouvelés alors que certains s’étaient vu accorder un satisfecit jusqu’à la fin de leur mandature ? Ne s’agit-il pas là, du combat de trop pour des maires qui ont pensé que la chose communale leur appartenait ? Ainsi en est-il notamment de Joel Beaugendre, à Capesterre Belle-Eau, et de Luc Adémar, à Gourbeyre, deux maires formatés dans le « chevrysme » triomphant des années 90 ou 2000.
Leur immobilisme et leur sens de la presdigitation – faire des actions tout azimut, quelques mois avant la fin du mandat – n’auront pas suffi cette fois à contenter un électorat renouvelé et constitué de citoyens plus exigeants qui ne se contentent pas d’un « bouché zié ».
La troisième tendance à l’œuvre, qui n’est certes pas une nouveauté, consiste à redéfinir lors des élections municipales, les bases du fonctionnement et de la place des formations politiques dans l’archipel des îles de Guadeloupe.
Les élections municipales, élections de base du fonctionnement démocratique moderne, sont d’une importance capitale surtout dans un pays dont la construction sociologique et historique donne une place très forte aux paroisses devenues des communes, marqueur d’appartenance à une communauté distincte des autres. Dans ce jeu, les formations politiques traditionnelles excellent sans savoir jusqu’où durera leur crédibilité, chez leur partisan et militant, dans l’opinion publique dans les années à venir.
Le parti Guadeloupe unie solidaire et responsables (GUSR) est devenu avec onze communes estampillées, parfois revendiquées et glissées comme par surprise dans sa sphère d’influence, le premier mouvement politique local en lieu et place de la Fédération guadeloupéenne du Parti socialiste (FGPS). Les élections à la présidence des intercommunalités vont donner une première image de la puissance des forces politiques locales mais la lecture des élections municipales n’aura pas plus de sens porteur pour les échéances électorales à venir, départementales, régionales ou présidentielles.
Car les électeurs distinguent nettement et plus qu’avant les enjeux propres à chaque élection et ne souhaitent plus voir les mêmes personnes cumuler plusieurs mandats. Les dispositions législatives successives sur le cumul des mandats auront été, de ce point de vue, très efficaces pour faire évoluer les mentalités.
Parmi ces formations politiques traditionnelles, il y en a au moins une qui a subi le même sort qu’au niveau national. Il s’agit de la droite locale qui, broyée par des formations politiques qui lui ont volé son âme et sa raison d’être, n’a plus que trois représentants élus sur la scène locale, les maires de Bouillante, Anse-Bertrand et Vieux-Fort.
Est-ce à dire que la Droite locale est morte de sa belle mort ?
L’avenir nous le dira mais la Droite restera pendant un temps, la variable d’ajustement de l’équilibre des forces politiques locales.
Qu’apporteront les nouveaux maires à la gestion publique locale ? Beaucoup d’entre eux ont plaidé l’ouverture vers la démocratie locale, la démocratie de proximité ou la participation des citoyens semble être devenu un paradigme incontournable, un thème politique mobilisateur en Guadeloupe.
Qu’en sera-t-il réellement ?
Pour savoir si c’est une conviction fondée ou empruntée voire feintée, il s’’agira de suivre tous les candidats élus qui ont promis que l’association des citoyens locaux devienne une exigence de réalité et de modernisme tant par l’installation de conseil de quartier ou de conseil citoyen que de groupe de concertation sur les sujets brûlants du moment comme le respect de l’environnement.
A ce titre, le maire de Pointe-à-Pitre, président de REV-Guadeloupe sera très regardé dans ses premiers actes et sur les stratégies et les moyens mis en œuvre pour parvenir à impulser de véritables mesures pour la transition écologique de la Ville.
Si l’on regarde plus en avant, on peut dire que 2020 est et aura été une année surprenante en évènements provoquant des effets à répétition dans l’économie et la société locale. La Guadeloupe est à la croisée des chemins tant historiquement, géographiquement que politiquement.
Avant dernier territoire français ultramarin à demeurer dans un statut de droit commun, la région monodépartementale, la Guadeloupe pense prospérer encore longtemps sur ses contradictions complémentaires et non-séparables….
Pour autant, il faudra que ces élus qui se pensent chefs dans leur édilité et qui ont toujours eu le sentiment de devoir briller autant que leurs voisins, fassent preuve d’humilité et de tolérance réciproque s’ils veulent régler les problématiques liées au mal développement et à la mise sous perfusion d’une société vivant d’import/export, de transferts sociaux et de tourisme de masse alors même que d’autres modèles de développement sont envisageables.
Ils n’auront ni la crédibilité, ni la légitimité nécessaire pour prétendre à une évolution institutionnelle ou statutaire des conditions de gouvernance et à la définition d’un projet de société s’ils ne portent pas des réponses décisives aux problèmes d’eau, de déchets, de transport, infrastructures qui conditionnent le développement progressif et harmonieux d’un pays et qui sont les premières marches d’un projet de société construit.
Par ailleurs, n’étant aucunement maîtres des conditions de notre destin, ils auront à faire les meilleurs efforts pour montrer à la population qu’ils dépassent le cadre de gestion qui leur est donné par l’État, président d’exécutif, président d’intercommunalité, pour au moins influer sur les choix politiques porteurs de responsabilité à arbitrer avec celui-ci.
Et sans en être toujours dépendant par souci de loyauté éternelle ou d’appartenance à une majorité présidentielle située à 7 000 km…
Certains édiles qui se réclament d’un bord ou d’un autre et qui font des alliances avec les représentants locaux du pouvoir central se sont sans doute travestis, alors même que la population qui a voté pour eux aux élections locales, n’a pas la même posture dans son attitude politique vis-à-vis des élections nationales. Pour s’en faire une idée, il n’y a qu’à se rappeler ne serait-ce que des taux d’abstention aux élections nationales pour s’en convaincre.